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L’homme avec son instrument dans l’Espace

Nicolas Thomas veut comprendre Mars, les comètes et les lunes glacées de Jupiter. Pour ce faire, il construit des instruments qui volent dans l’espace à bord de sondes spatiales.

 

Par Brigit Bucher

Lorsqu’on lui demande comment lui est venue l’idée de devenir astrophysicien, la réponse est fulgurante : “Très clairement : à cause du premier alunissage. Quand Armstrong a marché sur la lune, j’avais huit ans et j’étais un fou de technologie. Je savais tout du programme spatial américain”. C’est donc avec d’autant plus de déception que sa mère l’a envoyé au lit et que Nicolas Thomas n’a pas été autorisé à regarder le premier alunissage en direct à la télévision.

Nicolas Thomas a grandi à Shrewsbury ; il retourne régulièrement en Angleterre pour rendre visite à ses deux tantes âgées de plus de 80 ans. Il a obtenu son doctorat à l’université de York en 1986 et a ensuite travaillé à l’Institut Max Planck, avec des séjours au Centre européen de recherche et de technologie spatiales de l’ESA à Noordwijk ainsi qu’à l’université d’Arizona aux États-Unis. En 2003, il est arrivé à l’Université de Berne et est directeur de l’Institut de physique depuis 2015.

Le triangle magique de Berne

“Il y avait ce collègue qui voulait vraiment m’emmener en France en 2003. Il m’a dit : Pourquoi voulez-vous aller dans un village comme Berne ? Et je lui ai répondu : l’Université de Berne est l’un des meilleurs endroits au monde pour faire de la recherche spatiale.” Non seulement en termes de construction d’instruments spatiaux pour les grandes organisations spatiales telles que l’ESA, la NASA ou la JAXA, la recherche spatiale bernoise est au sommet du monde, précise Thomas, mais aussi dans les expériences en laboratoire ainsi que dans la création de modèles et de simulations de la formation et du développement des corps célestes. “C’est comme un triangle magique qui n’existe dans la recherche spatiale que dans quelques endroits du monde”, souligne Thomas. Et puis, il y a la tradition de plus de 50 ans et les réseaux qui n’ont cessé de se développer depuis la participation de l’Université de Berne au premier alunissage avec l’expérience de la voile à vent solaire.

On parle de la science aujourd’hui. “Beaucoup de gens attendent des réponses immédiates de la science et ne comprennent pas que la construction du savoir prend parfois beaucoup de temps. La recherche planétaire, par exemple, est plus un marathon qu’un sprint. Il est plutôt rare qu’il y ait une percée du jour au lendemain, et celles-ci sont généralement liées aux missions spatiales.

Lorsqu’on lui demande quels sont les grands succès personnels de sa carrière, Nicolas Thomas répond : “Les succès dont je suis probablement le plus fier sont ceux où nous avons fait un grand pas vers la résolution d’un problème particulier.” L’un de ces projets était lié aux données renvoyées par la sonde spatiale Rosetta depuis la comète Chury. “La question à laquelle nous essayions de répondre était de savoir pourquoi il y a tant de poussière sur la face nocturne du noyau de la comète. Nos résultats ne vont pas amener le président à venir nous féliciter. Mais je suis très heureux que, grâce à l’analyse de nos données et à notre travail de modélisation, nous ayons pu répondre à cette question qui était restée sans réponse pendant 35 ans.” (Alerte spoiler : la face coté nuit est active).

Thomas est également fier de la caméra CaSSIS, qui a été construite sous sa direction et qui fournit des images couleur haute résolution de la surface de Mars à bord de la sonde ExoMars Trace Gas Orbiter depuis 2016. “Ce printemps, un grand livre illustré a été publié avec les 200 plus belles images CaSSIS. Ce sont des images vraiment fantastiques, explique-t-il, mais la vraie science de haut niveau se fait avec d’autres instruments.” Par exemple, avec l’altimètre laser BELA à bord de la sonde spatiale BepiColombo, qui fait route vers Mercure et y effectuera des mesures de la surface de la planète la plus chaude de notre système solaire à partir de 2026 : “La construction de BELA a sans doute été le plus grand défi de ma carrière. Personne n’avait jamais construit un tel instrument avant nous. Et il fallait le concevoir de manière à ce qu’il fonctionne également aux températures infernales de Mercure.”

La fascination du décolage d’une fusée

Je lui demande ce qu’il ressent chaque fois que ses instruments sont lancés dans l’espace à bord d’une fusée. Il rit : “J’ai assisté à de nombreux lancements de fusées, c’est très amusant ! Quand une fusée décolle, c’est très impressionnant. Mais je ne deviens nerveux qu’environ 30 jours après le lancement, lorsque l’instrument est allumé pour la première fois. À ce moment-là, je pense toujours : que vais-je dire à l’équipe, aux personnes qui ont financé l’instrument, à la presse, si le truc ne fonctionne pas ? Cela me fait un peu peur à chaque fois”. Sa plus grande déception a été lorsque Beagle 2, l’atterrisseur embarqué à bord de la sonde Mars Express avec un microscope construit par Nicolas Thomas, n’a pas fonctionné : “Le 25 décembre 2003, mon étudiant et moi sommes allés à Milton Keynes pendant Noël pour commencer à analyser les données. Et il s’est avéré que l’atterrisseur avait échoué parce que je suppose qu’il ne s’était pas déployé correctement.” Ce qu’il trouve également frustrant, c’est qu’il n’existe souvent aucun plan de financement clairement défini pour l’analyse scientifique des données d’un instrument spatial : “Vous gagnez un concours pour construire un instrument pour une mission spatiale. Et puis il n’y a pas d’appareil de financement clairement défini pour l’utilisation des données. Il faudrait trouver une solution pour cela.”

Engagé et entreprenant

Thomas s’est spécialisé dans trois sujets de recherche : les lunes glacées de Jupiter, les comètes et Mars. Il précise : “Tout ce que je fais a un rapport avec la glace. Je m’intéresse à la glace sous la surface de Mars, aux comètes, qui sont en grande partie composées de glace d’eau, et dans le cas des lunes joviennes, l’accent est également mis sur la glace d’eau sur la lune Europe ainsi que sur la glace de dioxyde de soufre sur la lune Io.” Et c’est ainsi que Thomas a récemment été sélectionné pour faire partie d’une équipe de la NASA et de l’Agence spatiale canadienne pour une mission appelée Mars Ice Mapper, dont l’objectif est de cartographier la glace sur Mars. La question de la vie sur Mars ne préoccupe pas beaucoup Nicolas Thomas, il est plus intéressé par l’évolution de la planète rouge et les processus qui ont eu un impact sur elle. Mars est particulièrement chaude en ce moment, comme l’explique Nicolas Thomas : “Différentes agences spatiales se préparent à un programme martien habité. Elles vont d’abord sur la Lune, puis sur Mars.” Quand pense-t-il que le premier humain posera le pied sur Mars ? “Jusqu’à présent, on a toujours dit dans 30 ans. Quand ce chiffre sera inférieur à 30, alors seulement je commencerai à y croire.”

Nicolas Thomas prendra sa retraite en 2026. D’ici là, il a encore de nombreux projets. Dès l’été 2022, il succédera à Willy Benz à la direction du Pôle de recherche national NCCR PlanetS, que l’Université de Berne gère conjointement avec l’Université de Genève. Par ailleurs, le système de caméra “CoCa” destiné à la “Comet Interceptor Mission” est en cours de construction à Berne sous sa direction. L’objectif est de “parquer” une sonde spatiale dans l’espace, qui se dirigera ensuite à la demande vers une comète ou un objet interstellaire pour l’explorer. Il bricole également un tout nouveau type d’instrument. “L’idée a surgi lors d’une discussion avec le physicien spécialiste des lasers Thomas Feurer à la fin d’une longue journée, raconte-t-il en riant, quand l’idée nous a encore plu le lendemain, nous nous sommes mis au travail.” Promouvoir les jeunes talents est toujours aussi important pour lui. “Il est important pour moi de donner aux jeunes la confiance en soi nécessaire pour trouver leur propre direction de recherche et leurs propres questions.” Et il veut leur permettre de remettre en question de manière critique leur approche et les hypothèses qu’ils ont formulées, encore et encore.

Et que pense sa famille du travail de cet astrophysicien très occupé ? Nicolas Thomas réfléchit un moment, puis répond : “Je crois qu’ils s’y sont habitués. Nous parlons rarement de mon travail, tous les quelques mois je leur montre une photo de CaSSIS, et bien sûr ils veulent toujours tout savoir quand je vais à un lancement de fusée.” Ses enfants suivront-ils également la voie de la science ? Sa fille de 14 ans est très intéressée par la médecine vétérinaire en ce moment. Le fils de 16 ans, dit-il, est très doué en vidéo et a programmé une sorte de logiciel Hawk-Eye pour Cricket. “Lorsque je construis un instrument spatial, il peut arriver, dans la phase finale, que je travaille douze heures ou plus par jour pendant une longue période, mais ils le comprennent.”

Une chose qui a agacé sa fille, c’est qu’il écrivait depuis trois ans un livre sur l’état actuel de la recherche sur les comètes et qu’il était parfois très absorbé. “Mais cela ne l’a pas empêchée de faire le dessin de la couverture”, dit-il en souriant et en tendant le livre à la caméra.

 

 

Une version allemande de ce texte a d’abord été publiée dans le magazine Uniaktuell.

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