Ils ont changé notre conception du monde, rien que ça !
Les lauréats de cette année ont transformé nos idées sur le cosmos. Alors que les découvertes théoriques de James Peebles ont contribué à notre compréhension de l’évolution de l’univers après le Big Bang, Michel Mayor et Didier Queloz ont exploré notre voisinage cosmique à la recherche de planètes inconnues. Leurs découvertes ont changé à jamais nos conceptions du monde. Par ces mots forts, le comité du prix Nobel a reconnu leurs contributions uniques à la science et à la connaissance.
Par ces mots forts, le comité du prix Nobel a reconnu leurs contributions uniques à la science et à la connaissance. Changer nos conceptions du monde, rien de moins. Le rêve de tous les scientifiques. Non seulement laisser des traces sur un chemin bien fréquenté, mais ouvrir une nouvelle piste d’où peuvent émerger de nouvelles perspectives. Ils l’ont fait et ont été reconnus pour cela. Félicitations.
Pour quelqu’un qui travaille dans les sciences planétaires, la découverte de Michel Mayor et Didier Queloz en 1995 n’était rien d’autre qu’une révolution. Pour mesurer son impact, il faut se rappeler qu’à l’époque, seules les planètes de notre système solaire étaient connues. Son architecture caractéristique, de petites planètes rocheuses proches du soleil et de planètes gazeuses géantes plus éloignées, était considérée comme une caractéristique générique incontestable de tous les systèmes planétaires. La découverte des deux lauréats du prix Nobel a tout fait voler en éclats ! Une planète géante (environ la moitié de la masse de Jupiter) en orbite autour de son étoile (51 Pegasi) à une distance sept fois plus petite que celle de Mercure par rapport à notre soleil. Partie terminée ! Nous avons tout de suite su que quelque chose n’allait pas, il n’y avait pas de place pour la discussion. La découverte d’un seul objet a suffi à nous renvoyer tous à la case départ !
Une question évidente vient à l’esprit : pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour détecter la première planète en orbite autour d’une autre étoile comme le soleil ? La réponse est simple : le contraste et la séparation. Comparées à l’étoile qu’elles orbitent, les planètes sont extrêmement faibles. En général, le rapport de contraste est de l’ordre de 10-8 à 10-10 dans le visible et 10-6 dans l’infrarouge. Si nous associons cet énorme rapport de contraste au fait que, vu de nous, la séparation entre la planète et l’étoile est très faible (typiquement une fraction de seconde d’arc ou même beaucoup moins), il devient évident que “voir” les planètes représente un énorme défi, même pour nos télescopes et instruments les plus modernes. En fait, c’est un tel défi que des méthodes indirectes astucieuses ont été utilisées pour détecter les planètes en attendant que l’imagerie haute résolution à contraste élevé arrive à maturité. Bien que les planètes ne soient pas visibles, l’étoile hôte, elle, est clairement visible. Grâce à des mesures Doppler précises, il est possible de mesurer leurs petits mouvements résultant de l’attraction gravitationnelle de la ou des planètes en orbite (un effet dynamique) et de déterminer une masse minimale pour la planète. Grâce à des mesures ultra-précises de l’intensité de la lumière reçue de l’étoile, la légère atténuation résultant du passage d’une planète devant l’étoile (effet photométrique) peut être détectée et la taille de la planète déterminée. Pour les planètes mesurées avec les deux techniques, la masse et le rayon sont connus et donc leur densité moyenne peut être calculée, une première étape dans la caractérisation des exoplanètes.
Michel Mayor est un astronome qui s’est d’abord intéressé à la cinématique des étoiles. Le besoin de données de haute précision pour le développement de modèles dynamiques des galaxies et des amas stellaires l’a poussé à envisager la possibilité de développer une méthode plus précise. Dans les années 70, il s’est tourné vers une technique de corrélation croisée, mise au point par Roger Griffin au Royaume-Uni, et l’a importée à l’Observatoire de Genève. À l’époque, j’ai commencé ma thèse de doctorat sous sa direction en 1979. Son premier spectrographe, nommé Coravel, pouvait mesurer la vitesse des étoiles avec une précision de l’ordre d’un km/s en quelques minutes. Une première révolution dans la dynamique stellaire, mais pas tout à fait suffisante pour Michel Mayor et sa quête de précision. Un chemin vers une machine encore meilleure commençait à se dessiner. Avec son étudiant de troisième cycle Didier Queloz, qui a écrit une grande partie du logiciel de pilotage de la machine et effectué de nombreuses observations au télescope, et un groupe d’ingénieurs et de techniciens dévoués, le spectrographe ELODIE a été construit et installé sur le télescope de 1,93 m de l’Observatoire de Haute-Provence dans le sud de la France. Cette machine de nouvelle génération était désormais capable de mesurer des vitesses avec une précision de l’ordre de 10 m/s, soit une amélioration d’un facteur 100 par rapport à l’instrument précédent. C’est cette précision qui a permis la détection de la première exoplanète en 1995.
Comme mentionné ci-dessus, cette seule découverte a eu un impact énorme dans le domaine et a déclenché une explosion d’activités sans précédent. Les groupes américains utilisant une technique différente (cellule à iode) sont rapidement devenus de sérieux concurrents, mais le groupe de Genève a réussi à développer davantage sa technique de corrélation croisée en plaçant, entre autres, le spectrographe dans une cuve dédiée, stabilisée en pression et en température. Une collaboration entre l’Université de Genève, l’Université de Berne, le Service d’Aéronomie et l’Observatoire de Haute-Provence a été instaurée pour construire, sous la direction de Michel Mayor, le spectrographe HARPS pour le télescope de 3,6 m de l’Observatoire européen austral (ESO) à La Silla, au Chili. Mis en service début 2000 et atteignant une précision supérieure à 1 m/s, HARPS a été pendant plus de quinze ans la plus puissante machine de recherche d’exoplanètes basée sur des mesures de vitesse radiale. Il a définitivement établi l’approche de corrélation croisée de Michel Mayor comme la méthode de choix pour des mesures précises de la vitesse radiale. Au début de cette année, la dernière génération de spectrographes basés sur cette technique a été installée au foyer incohérent Cassegrain des quatre télescope de 8,5 m de l’ESO à l’Observatoire de Paranal au Chili. Construit par un Consortium dirigé par l’Université de Genève et par une nouvelle génération de constructeurs d’instruments ayant été infesté par Michel Mayor avec le virus de la haute précision, l’instrument atteint maintenant une précision de 10 cm/s et peut combiner la lumière des quatre télescopes, ce qui correspond à une surface effective de captation de lumière équivalente à un télescope de 16 m. Le spectrographe le plus stable au monde permet des mesures dix mille fois plus précises que l’original construit quarante ans plus tôt. Quarante ans d’amélioration minutieuse et constante d’une technique de mesure !
Non, la découverte de Michel Mayor et Didier Queloz en 1995 n’est pas due au hasard, mais à une vision claire de la technologie nécessaire et à une incroyable volonté d’y parvenir à une époque où presque tout le monde pensait que c’était impossible. Malgré cela, le système suisse (tant au niveau universitaire que fédéral) a permis à Michel Mayor et Didier Queloz d’obtenir le soutien dont ils avaient besoin pour poursuivre leurs recherches. Cela constitue un exemple typique de la nécessité de maintenir la recherche guidée par la curiosité pendant de longues périodes, en particulier dans les domaines expérimentaux où de nouvelles technologies/instruments doivent être développés avant que de nouvelles frontières puissent être atteintes.
Aujourd’hui, près de 25 ans plus tard et plus de 4000 découvertes supplémentaires, c’est la diversité des planètes et des systèmes planétaires qui est devenue la règle. Nous savons maintenant que les planètes sont des objets extrêmement communs dans l’Univers, qu’elles sont de toutes tailles, les plus petites étant plus nombreuses. Certaines ressemblent à la Terre et sont situées à une distance telle de leur étoile qu’elles sont tempérées, ce qui ouvre la possibilité de rechercher éventuellement la vie telle que nous la connaissons sur Terre. La découverte de la première exoplanète par Michel Mayor et Didier Queloz n’a pas seulement changé notre conception du monde, elle a également déclenché une explosion d’activités dans le monde entier et ouvert la porte à la recherche de la vie en dehors du système solaire. Une découverte capitale qui mérite bien le plus haut des honneurs, l’attribution du prix Nobel.
Willy Benz, article paru dans la revue de la “Schweizer Physikalische Gesellschaft”
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