Dédiés à la chasse aux planètes
La planétologie a déjà bénéficié d’une riche moisson faite par l’Observatoire Austral Européen (ESO). Une science dont le futur s’annonce encore plus brillant, comme l’explique notre auteur invité de l’ESO Gaspare Lo Corto dans l’article suivant.
By Gaspare Lo Courto, ESO
Cela fait deux décennies cette année que Michel Mayor et Didier Queloz ont découvert la première exo-planète à l’Observatoire de Haute Provence en utilisant ELODIE un spectrographe haute résolution. Les années qui ont suivi ont été bien chargées pour les chasseurs de planètes et nous à l’ESO avons été au cœur de cette quête en fournissant télescopes, instruments et infrastructures pour des observations dédiées aux planètes.
En 1996, soit un an après la découverte de 51 Peg B, un groupe de travail a été nommé à l’ESO pour mettre en place des stratégies efficaces de recherche d’exoplanètes. Un an de travail plus tard, le groupe – composé d’éminents scientifiques du domaine de toute l’Europe et des Etats-Unis – a livré une série de recommandations. La plupart d’entre elles ont été suivies par l’ESO dans les années suivantes, apportant une riche moisson de résultats.
La première exo-planète découverte par l’ESO fut Gliese 86b, publiée en Novembre 1998. Elle a été détectée grâce à la méthode vitesse radiale par le spectrographe CORALIE installé sur le télescope suisse Euler et qui a vu sa première lumière en Avril 1998 à La Silla – un projet national très réussi et soutenu par l’infrastructure de l’ESO. A peine quelques mois plus tard, c’est au tour de l’instrumentation de l’ESO de découvrir sa première planète. Elle s’appelle « Iota Horologii b », elle orbite autour d’une étoile de type solaire et a été découverte avec le spectrographe CES au télescope CAT de 1.4m toujours à La Silla. Cette planète, environ deux fois la masse de Jupiter, tourne autour de son étoile à une distance égale à la distance Terre-Soleil. Elle est donc en plein milieu de la “zone habitable” où l’eau liquide peut exister à la surface de la planète, une première du genre.
Suite à une des recommandations principales du groupe de travail, un nouveau spectrographe à haute résolution a été construit par un consortium dirigé par l’Observatoire de Genève. Installé sur le télescope de 3.6m de la Silla, HARPS a alors « changé la donne » en étant capable d’atteindre une précision de 1 m/s. Sa stabilité intrinsèque, sa capacité de corriger les petites dérives pendant les expositions individuelles et la grande quantité de temps consacré à un programme cohérent planète-recherche (500 nuits de plus de 5 ans), ont fait de HARPS une réussite remarquable. Grâce à HARPS et son extraordinaire précision sur les vitesses radiales, nous avons appris que:
- les exoplanètes sont très fréquentes;
- les systèmes avec plus d’une planète sont également très fréquents;
- les systèmes multi-planétaires sont généralement riches en planètes de faible masse;
- la fonction de distribution de masse des planètes montre un maximum à faible masse;
- la distribution de la métalicité des étoiles ayant des planètes de faible masse est constante, bien distincte de celle des étoiles ayant des planètes géantes seulement;
- de nombreuses planètes tournent autour de leurs étoiles dans une direction opposée à la rotation de l’étoile.
Pendant les opérations de routine de HARPS il a été décidé de consacrer pleinement le télescope de 3.6m à cet instrument pour améliorer ses performances et sa production scientifique. En conséquence, le miroir secondaire du télescope a été entièrement rénové pour une stabilité accrue et un nouveau système de guidage a été mis en place pour améliorer le centrage de l’étoile dans la fibre de HARPS. Une nouvelle unité de Fabry-Perot a été installée en 2008 pour mesurer et corriger les dérives instrumentales à court terme, un système plus de précis que celui des lampes conventionnelles de ThAr. En parallèle, un meilleur système pour l’étalonnage de longueur d’onde a été conçu s’appuyant sur la technique du peigne de fréquence laser, lauréate du prix Nobel en 2005. Enfin, l’étalonnage «idéal» a été installé en Avril 2015 et sera offert à la communauté après une deuxième phase de test dont la date reste encore à définir. Nous nous attendons à une précision sur les vitesses radiales à la longueur d’onde de calibration de l’ordre de 3cm/s, ce qui nous permettra de détecter une planète semblable à la Terre sur une orbite identique à celle de la Terre (la signature du mouvement orbital de la Terre sur la vitesse radiale du Soleil est d’environ 9 cm/s). Dans le même temps, de nouvelles fibres optiques de forme octogonale en coupe transversale sont en cours de fabrication et permettront d’augmenter l’homogénéité du faisceau lumineux de sortie. Après les résultats positifs montrés par des essais effectués sur HARPS-N et le spectrographe SOPHIE, nous prévoyons d’installer ces nouvelles fibres en mai 2015. Cet engagement à long terme, aussi bien de l’ESO que du consortium, répond au besoin constant d’améliorer la précision de l’instrument assurant ainsi longue vie et succès au projet.
Il a été démontré que la technique des vitesses radiales est la meilleure depuis le sol, comme l’ont fait par exemple CORALIE, FEROS, HARPS ou UVES. De nombreuses autres observations sont également recueillies à l’ESO, visant non seulement à détecter mais aussi à caractériser les exoplanètes. Sans prétendre être exhaustif, je tiens à souligner certains de ces résultats. Le projet PLANET qui utilise la technique de microlentille gravitationnelle depuis 1995 à La Silla a détecté en 2005 la première planète rocheuse d’une masse égale à seulement 5,5 fois celle de la Terre. À peu près au même moment, NACO (avec un masque coronographique) a recueilli les premières images de l’exo-planète 2M1207A-b où de l’eau a été trouvée dans son atmosphère grâce à des observations spectroscopiques. Plusieurs planètes ont été découvertes depuis. La caractérisation d’atmosphère par spectroscopie de transit de certaines exoplanètes a été réalisée avec CRIRES où des molécules de CO ont été identifiées. SPHERE, récemment installé à Paranal, et ESPRESSO qui arrivera en 2016, ne sont que les derniers instruments qui se concentreront principalement sur la détection et la caractérisation des exoplanètes.
L’avenir de la planétologie à l’ESO semble encore plus prometteur puisque le sujet est parmi les motivations phares justifiant la construction de l’E-ELT, et constitue le principal but scientifique pour deux des trois premiers instruments. En outre, un concept de spectrographe à haute résolution dédié principalement aux exoplanètes et qui doit faire suite aux trois premiers instruments est déjà en cours de préparation. Enfin, et une fois que la technologie nécessaire sera maîtrisée, la construction d’un appareil photo et d’un spectrographe planétaire est prévue afin d’obtenir des images et des spectres d’exoplanètes identiques à la Terre et situées dans la zone habitable.
La compréhension de l’origine des systèmes planétaires, et finalement de la vie, est un sujet de la plus haute importance tant du point de vue scientifique que philosophique. L’ESO, conjointement avec la communauté astronomique, a décidé de relever ce défi. Beaucoup de résultats passionnants ont été obtenus; bien d’autres sont à venir.
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