La formation des lunes de Jupiter
Les astrophysiciens du PRN PlanetS de l’Université de Zurich ont été stupéfaits par l’analyse de leurs simulations informatiques : la formation des lunes de Jupiter s’est produite beaucoup plus vite et plus tard qu’on ne le croyait auparavant. Les chercheurs ont également découvert que les satellites que nous voyons aujourd’hui ne sont probablement pas les seules lunes qui se sont formées autour de la planète, mais les seules qui ont survécu.
Quand nous pensons aux lunes, la première chose qui nous vient à l’esprit est notre propre Lune en orbite autour de la Terre. Cependant, les astronomes pensent que les lunes devraient être très communes dans l’univers, au moins autour des planètes géantes gazeuses comme Jupiter. En fait, dans notre système solaire, toutes les planètes extérieures (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) ont un système de satellites et d’anneaux naturels. Parmi celles-ci, les plus grandes communément appelées lunes galiléennes, sont en orbite autour du “Roi des Planètes”, Jupiter.
Bien que les données d’observation fournissent beaucoup de matériel pour comprendre les propriétés des satellites de Jupiter, la formation de ce système satellitaire reste toutefois encore mystérieuse notamment sa durée et son commencement. C’est pour comprendre ces questions cruciales que Marco Cilibrasi, Judit Szulágyi, Lucio Mayer, Joanna Drażkowska, Yamila Miguel et Cassandra Inderbitzi, un groupe de recherche de l’Institut des sciences informatiques de l’Université de Zurich, ont étudié la formation de tels systèmes de satellites.
Simuler des centaines de milliers de systèmes
Dans le cadre de leurs travaux réalisés en partie sous l’égide du PRN PlanetS, ils sont partis de l’idée que les satellites auraient dû se former avec le jeune Jupiter dans un disque de gaz et de poussière qui entourait la planète elle-même. Alors que le Jupiter naissant prenait encore du gaz dans le disque protoplanétaire qui entourait notre jeune Soleil, les simulations du groupe montrent que la planète elle-même était également entourée d’un petit disque de gaz et de poussière. Cette idée coïncide avec le fait que les orbites des satellites galiléens sont bien alignées avec le plan de rotation de Jupiter et que leurs orbites sont quasiment circulaires. Comme les planètes autour du Soleil, les lunes se forment aussi dans un disque autour des planètes géantes. Ce disque, communément appelé disque circumplanétaire, s’est développé autour du géant gazeux lors de la dernière étape de son processus de formation. Un disque présent jusqu’à la formation complète de Jupiter grâce à un apport continu de gaz et de poussière du disque protoplanétaire.
A partir de ce scénario, les chercheurs de l’Université de Zurich ont développé un modèle théorique et des simulations par ordinateur, réussissant à rassembler ce que nous savons aujourd’hui sur la structure du disque circumplanétaire, son évolution, la naissance et l’évolution des satellites qui le composent. Grâce à un modèle complet mais simple, le groupe de recherche dirigé par Cilibrasi, Szulágyi et Mayer a pu simuler des centaines de milliers de systèmes de formation de type Jupiter avec de nombreuses conditions et caractéristiques initiales différentes (notamment la quantité de poussière dans le disque et la durée de vie du disque lui-même). En analysant statistiquement les résultats des simulations, ils ont pu mettre des contraintes sur plusieurs des points clés de la formation de lunes autour de Jupiter.
Les générations de satellites perdues
Le groupe de recherche a découvert que les satellites que nous voyons aujourd’hui autour de Jupiter ne sont probablement pas les seules lunes qui se sont formées autour de la planète, mais les seules qui ont survécu. “Notre modèle a prouvé en effet, que plusieurs systèmes satellitaires se sont formés autour de Jupiter les uns après les autres et ont fini par migrer vers la planète géante, ne laissant survivre que la dernière génération ” explique Cilibrasi. Tout cela s’est produit dans un court laps de temps d’environ cent mille ans qui fut la “dernière minute” de la formation de Jupiter. Selon leur modèle, le temps le plus probable pour assembler les satellites galiléens n’était que de 20000 ans, soit moins de 1% de la durée de vie du disque protoplanétaire du Soleil qui a formé toutes les planètes du système solaire. “Cette formation ultra-rapide et tardive des lunes nous a beaucoup surpris, car il s’agit d’échelles de temps plus courtes qu’on ne le croyait auparavant ” assure le Dr Szulágyi.
L’étude a également apporté une solution étonnante et nouvelle à un problème de longue date. L’enveloppe gazeuse de Jupiter est beaucoup plus riche en éléments chimiques lourds que notre Soleil, à tel point que jusqu’à présent les astrophysiciens étaient incapables d’expliquer cet écart. Les générations perdues de satellites pourraient cependant apporter une solution naturelle à ce problème : des douzaines de lunes se sont formées au départ et se sont retrouvées englouties par la planète en formation, ces corps riches en éléments lourds pourraient être à l’origine de la composition particulière de l’enveloppe de Jupiter. Les simulations ont montré qu’en moyenne, ce sont 15 masses terrestres qui se sont formées en lunes et qui ont été rapidement absorbées par Jupiter.
En ce qui concerne la composition des lunes formées dans ce modèle, les résultats ont révélé que la plupart des satellites de dernière génération étaient riches en glace. Ce résultat ouvre la possibilité qu’un océan existant sous la surface de ces lunes, comme c’est le cas pour Europa, soit relativement commun parmi les satellites des exoplanètes de type Jupiter.
A la recherche de lunes autour des exoplanètes
La nouvelle étude nous rapproche des secrets de la formation de la lune en général. Aujourd’hui 3674 exoplanètes sont connues, beaucoup d’entre elles sont des planètes géantes qui auraient pu former leur système satellitaire de la même manière que celui de Jupiter. Par conséquent, éclairer le processus de formation des lunes autour de Jupiter peut aider les chercheurs à estimer combien de lunes peuvent orbiter autour d’exoplanètes, dont certaines pourront être détectées de notre vivant.
Il est intéressant de noter que les simulations ont souvent conduit à des lunes très massives, qui sont au-delà des masses des satellites galiléens. C’est d’autant plus intéressant que si les lunes massives autour des exoplanètes sont courantes, elles pourraient être plus faciles à détecter par des observations que ce qui était prévu. À l’aide des télescopes Hubble et Kepler, les astronomes ont déjà trouvé les premières traces d’une candidate exolune en orbite autour d’une planète géante appelée Kepler-1625. La taille de cette lune serait comparable à celle de Neptune. Mais ce résultat est encore provisoire et doit être confirmé par des observations de suivi. Les astronomes s’attendent à ce que les télescopes spatiaux du proche avenir, tels que CHEOPS et PLATO, soient capables de repérer de tels mondes orbitant autour de planètes géantes extrasolaires. (Marco Cilibrasi)
Les lunes galiléennes
La découverte des lunes de Jupiter a eu lieu en 1610, lorsque Galilée a pointé pour la première fois son télescope vers Jupiter et a pu voir quatre petits points lumineux se déplacer autour de la planète, les appelant satellites médicéens, d’après le grand duc de Toscane Cosimo II de’ Medici. Aujourd’hui, ces quatre lunes sont simplement connues sous le nom de satellites galiléens et elles sont officiellement nommées comme les amants du dieu Jupiter : Io, Europa, Ganymède et Callisto.
Avec les missions Pioneer 10 et 11 (1973-74) et la célèbre mission Voyager (1979), la NASA a fourni aux scientifiques du monde entier des images et des données spectaculaires qui leur ont permis de comprendre de nombreuses propriétés intéressantes de Jupiter et de ses quatre satellites. Par exemple, nous savons aujourd’hui que les trois satellites intérieurs sont dans une configuration dite résonante (c’est-à-dire que la période d’orbite autour de Jupiter de Ganymède est deux fois plus longue que celle d’Europe et quatre fois plus longue que celle de Io). Grâce à ces missions, nous connaissons les structures internes et les différentes compositions de ces corps rocheux et nous savons aussi que trois d’entre eux (Europa, Ganymède et Callisto) abritent probablement de l’eau salée juste sous leur surface. C’est particulièrement intéressant pour la communauté scientifique, car ces océans sous la surface font des satellites galiléens des cibles parfaites pour la recherche de la vie extraterrestre. (MC)
M Cilibrasi,J Szulágyi,L Mayer,J Dra̧żkowska,Y Miguel,P Inderbitzi : “Satellites form fast and late : a population synthesis for the Galilean moons”, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, novembre 2018, https://doi.org/10.1093/mnras/sty2163
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