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Une enfance infernale difficile à modéliser.

Une équipe franco-suisse qui inclue des astronomes de l’Université de Genève membres du Pôle de Recherche National (PRN) PlanetS publie une nouvelle étude dans la revue Nature remettant en cause un modèle en vigueur depuis trente-cinq ans. Utilisant un modèle climatique cohérent, les astronomes ont pu montrer que l’atmosphère des planètes chargés en vapeur d’eau sont façonnés par les processus radiatifs plutôt que par les processus convectifs. Ces nouveaux résultats ont un impact important sur la modélisation de certaines exoplanètes et sur notre compréhension de l’enfance de la Terre et de sa proche voisine, Vénus.

 

 

Peu après leur formation, Vénus et la Terre ont été recouvertes d’un océan de magma, tout comme certaines exoplanètes récemment découvertes.

Une enfance infernale

Il y a 4.6 milliards d’années environ, l’enfance de notre système solaire est loin d’être un long fleuve tranquille. Baignées dans le nuage de gaz et de poussières qui les ont formées, les protoplanètes sont constamment bombardées d’astéroïdes et chauffées à blanc par la radioactivité de leur intérieur.

Prenons la Terre et sa proche voisine, Vénus. Les températures y sont beaucoup plus élevées qu’aujourd’hui, si élevées qu’un océan de magma recouvre leur surface. L’atmosphère primitive qui les enveloppe est alors saturée d’eau qui, dans ces conditions, ne peut exister que sous sa forme gazeuse.

Une modélisation difficile

« Les conditions qui régnaient sur les deux jeunes planètes sont aussi étudiées aujourd’hui dans le cadre de la recherche sur les exoplanètes » explique Guillaume Chaverot, doctorant à l’Université de Genève, membre du Pôle de Recherche National (PRN) PlanetS et co-auteur d’une nouvelle étude sur le sujet. « Les astronomes ont en effet découvert des planètes riches en eau dont l’atmosphère pourrait être saturée en vapeur d’eau. Les modéliser de manière cohérente est difficile car le temps typique d’évolution des couches supérieures de l’atmosphère est beaucoup plus court que celui des couches inférieures » déclare Guillaume.

Étudier l’évolution de ces planètes est en effet un véritable challenge pour les scientifiques. En effet, pour modéliser une atmosphère, il faut prendre en compte les processus physiques d’interactions entre la lumière et les molécules d’eau. Comme ici l’atmosphère est épaisse et que l’eau est un puissant gaz à effet de serre, cela devient difficile et il faut alors des ordinateurs suffisamment puissants.

 

Une hypothèse pour faciliter les calculs…

La solution trouvée dans les années 80 pour la Terre et Vénus est de faire l’hypothèse que les transferts de chaleur dans l’atmosphère se font par les mouvements des masses d’air et non par les interactions entre la lumière et les molécules de gaz. Les scientifiques parlent alors d’atmosphères convectives. C’est aussi cette hypothèse qui est aujourd’hui communément utilisée pour les exoplanètes ou pour modéliser l’atmosphère actuel de la Terre.

Avec cette hypothèse, Vénus a ainsi pu garder longtemps son océan de magma et voir son eau s’évaporer petit à petit dans l’espace sous le coup du rayonnement solaire. La Terre, étant un peu plus éloignée du Soleil, a vu sa température baisser suffisamment pour permettre la solidification de sa croûte et la condensation de l’eau dans son atmosphère entraînant un véritable déluge, formant les premiers océans. L’eau sur Terre a ainsi pu rester à sa surface offrant au passage un environnement adapté pour l’apparition de la vie. La Terre est cependant dans un état temporaire puisque le flux d’énergie solaire va augmenter avec le vieillissement du Soleil permettant la vaporisation des océans. En utilisant les modèles d’atmosphères convectives, un emballement de l’effet de serre dû à cette vapeur d’eau engendrera alors des températures de surface suffisamment élevés pour recouvrir la Terre d’un nouvel océan de magma.

 

…mais une hypothèse erronée

Mais voilà qu’une équipe franco-suisse remet en cause l’hypothèse d’une atmosphère convective pour ce type de planètes. Dans une publication parue dans le journal Nature, les astronomes montrent au contraire que les processus radiatifs (c’est-à-dire les interactions entre la lumière et les couches de l’atmosphère) y jouent un rôle important notamment dans le transfert de chaleur et la capacité de ces planètes à se refroidir.

« Avec cette nouvelle analyse, on en déduit que l’océan de magma sur Vénus aurait eu une durée d’existence beaucoup plus courte qu’initialement prévu » annonce Emeline Bolmont, professeure assistante à l’Université de Genève, directrice du centre pour la Vie dans l’Univers, membre du Pôle de Recherche National (PRN) PlanetS et co-autrice de l’étude.  « De même, l’augmentation du flux solaire ne permettra pas une température suffisamment élevée pour fondre la croûte terrestre et faire apparaître un nouvel océan de magma à la surface de la Terre. » continue Emeline.

Pour les exoplanètes, l’hypothèse erronée d’une atmosphère convective implique notamment une surestimation du rayon des planètes possédant une atmosphère riche en eau. C’est le cas pour les planètes du système TRAPPIST-1 comme TRAPPIST-1 b dont le rayon est surestimé de 4.2 à 5.6% comparé au nouveau modèle cohérent prenant en compte les processus radiatifs.

 

L’ancien modèle, qui néglige les processus radiatifs dans l’atmosphère des planètes riches en eau, surestime la taille de l’atmosphère et donc le rayon de ces planètes. (Credit: F.Selsis)

A grandes conséquences, longue validation

Les nouveaux résultats remettent donc en question certaines stratégies d’observations récentes des exoplanètes. En effet, le temps d’observation sur les grands télescopes mondiaux étant limité, il n’est pas possible d’observer toutes les exoplanètes pour déterminer la présence ou non d’une atmosphère et, le cas échéant, l’observer pour caractériser ses paramètres physiques. Les astronomes sélectionnent alors les meilleures candidates pour l’observation en se basant notamment sur leurs masses et leurs rayons afin de limiter les risques de non-détection (absence d’atmosphère ou atmosphère trop fine) et maximiser l’utilisation des télescopes. Or certaines planètes sélectionnées à partir du modèle obsolète risquent de voir leurs rayons revus à la baisse remettant en cause leur statut de cibles favorites pour l’étude de leurs atmosphères.

Les planétologues et les astronomes vont aussi revoir leur copie sur l’enfance de la Terre et de Vénus. Remettre en cause une hypothèse vieille de plusieurs décennies n’est pas une chose facile surtout si elle engendre de nombreuses conséquences. L’étude a ainsi fait l’objet d’une relecture serrée par d’autres spécialistes. Quatre évaluateurs au lieu d’un ou deux habituellement ont demandé à l’équipe franco-suisse de réaliser de nombreux tests afin de vérifier et consolider le nouveau modèle. Un long processus, essentiel à la garantie d’une science de qualité et qui a débouché sur l’acceptation du papier de recherche et sa publication dans le prestigieux journal Nature.

 

Reference:
Selsis, F., Leconte, J., Turbet, M. et al. A cool runaway greenhouse without surface magma ocean. Nature 620, 287–291 (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-023-06258-3

Categories: News

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